harcèlement sexuel

Harcèlement sexuel en Egypte : quelle ampleur, quelles raisons et quelles mesures pour y mettre un terme ?

Le problème du harcèlement sexuel est de plus en plus évoqué dans les medias égyptiens et étrangers, alors que de nombreuses vidéos d’agressions tournent sur les réseaux sociaux. Le phénomène, d’une ampleur énorme, fait rage en Egypte, mais encore peu de mesures sont prises pour y remédier.

Une « épidémie »

Le harcèlement sexuel est un véritable fléau en Egypte. Le phénomène n’a pas attendu la révolution égyptienne du 25 janvier pour émerger : il était déjà largement présent dans la société, la différence aujourd’hui étant qu’il est nettement plus documenté. Les vidéos YouTube d’agressions dans les rues se sont multipliées, de même que les associations de lutte contre le harcèlement et le nombre de voix individuelles qui s’élèvent régulièrement au travers des médias pour dénoncer le phénomène. Difficile de savoir précisément si le harcèlement s’est accru après la révolution mais une chose est en revanche très claire, c’est l’étendue du phénomène, qui touche la majorité des femmes égyptiennes, quel que soit leur âge ou leur appartenance sociale. Selon une étude de l’ONU publiée en 2013, 99,3% des femmes interrogées ont déclaré être touchées par le harcèlement sexuel, tandis qu’un groupe d’organisations égyptiennes a documenté plus de 250 cas d’attaques contre des femmes, dont des viols, lors des manifestations qui ont eu lieu place Tahrir entre novembre 2012 et juillet 2013. Ces attaques sont souvent caractérisées par une violence inouïe et une technique bien rôdée des agresseurs, qui encerclent leur victime pour l’éloigner de son groupe et l’entrainent dans une ruelle à proximité de la place pour la déshabiller et la violer, parfois au moyen d’armes blanches. Au delà de ces attaques, le harcèlement prend aussi la forme de remarques quotidiennes, de regards insistants et objectivisants, de gestes obscènes ou d’attouchements, dans les espaces publics, les moyens de transport ou les lieux de travail. La Fédération Internationale des Droits de l’Homme et Human Rights Watch parlent même « d’épidémie de harcèlement sexuel ».

Quelles sont les raisons à l’ampleur du phénomène ?

Un certain nombre de raisons sont évoquées pour expliquer l’ampleur du phénomène mais il reste malgré tout difficile d’identifier précisément comment le degré actuel a pu être atteint.

Il semble que la diffusion des idées wahhabites en Egypte soit un facteur majeur de la dégradation de l’image de la femme dans la société et de l’augmentation du harcèlement. Cette diffusion est d’abord liée au retour de nombreux Egyptiens partis travailler dans les pays du Golfe, ce qui a entrainé une vague de conservatisme et de réislamisation dans les années 1970. Mais elle est aussi liée à la prolifération des chaines de télévision financées par les wahhabites depuis libéralisation de l’industrie télévisuelle entreprise sous le régime de Moubarak. Ces chaines diffusent notamment de nombreux talk-shows animés par des prédicateurs dont l’un des plus tristement célèbre est Mahmoud Ahmad Abdallah, surnommé Abou Islam, connu pour sa tendance à justifier les attouchements sexuels et les viols et à décrire les femmes comme des « diables » ou des « provocatrices » allant aux manifestations non pour protester mais « pour se faire violer ».

Une autre raison est l’importance de la frustration économique, notamment au sein de la jeunesse égyptienne, liée à un avenir bouché et à un taux de chômage très élevé. L’âge moyen du mariage est retardé du fait de la crise économique et de la difficulté pour les jeunes à trouver un logement et à parvenir à une situation sociale et économique stable. Cela nourrit une frustration sexuelle importante, renforcée par une consommation démesurée d’images pornographiques par le biais d’internet. Ces images contribuent à la dégradation de l’image des femmes, vues comme objets de plaisir seulement. Par ailleurs, du fait d’un discours public sur le sujet quasiment inexistant et de l’absence d’éducation sexuelle dans les écoles ou les universités, elle entraine une confusion totale des esprits sur le sens de la sexualité et sur les pratiques sexuelles. Ces frustrations conduisent certains hommes à déverser leur ressentiment et leur colère sur les femmes, socialement plus vulnérables, et considérées par beaucoup comme des êtres inférieurs.

Une loi du silence s’applique également aux victimes du harcèlement sexuel, qui font souvent face aux pressions des familles pour ne pas porter plainte, de peur de salir leur réputation. Cela repose en particulier sur l’idée que les femmes, et non les hommes, sont responsables de ce qui leur est arrivé, du fait d’un comportement incitatif ou inapproprié. Cette idée est si omniprésente qu’elle est intériorisée par les femmes elles-mêmes, tant et si bien que certaines gardent entièrement pour elle le harcèlement qu’elles peuvent subir. Une preuve de cette omniprésence se trouve notamment dans cette vidéo d’interviews de jeunes garçons et filles réalisée par Dignity Without Border https://www.youtube.com/watch?v=kuX78fgizRg.

Un début de prise en compte du problème par les autorités

Bien que l’Egypte ait ratifié les traités internationaux concernant les droits des femmes (avec certaines réserves), en particulier la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDAW), peu de mesures sont réellement mises en place pour remédier au problème du harcèlement. Les nouvelles autorités égyptiennes ont cependant commencé à prendre quelques initiatives dont l’importance ne peut être négligée.

Tout d’abord, l’article 11 de la nouvelle constitution de 2014 indique que les femmes sont les égales des hommes et oblige l’Etat à protéger les femmes contre toute forme de violence.

Ensuite, une première étape vers la fin de l’impunité a été franchie le 4 juin 2014, avec l’approbation d’une loi criminalisant le harcèlement sexuel pour la première dans l’histoire de l’Egypte moderne. La loi a amendé l’article 306A du code pénal pour criminaliser le harcèlement prenant la forme de mots et de gestes déplacés. La loi prévoit une peine minimum de 6 mois d’emprisonnement et une amende de 3000 livres égyptiennes (environ 300 euros). Un autre amendement prévoit des peines plus sévères pour le cas où le harceleur est en position d’autorité par rapport à la victime, et pour le cas où le harcèlement serait perpétré par un groupe. Plusieurs harceleurs ont déjà été jugés dans le cadre de cette nouvelle loi et envoyés en prison. Malgré tout, plusieurs problèmes, notamment liés à la formation des policiers et des autorités pour traiter des cas de harcèlement sexuel et à la persistance de la loi du silence subsistent et empêchent une mise en œuvre absolument efficace de la loi.

Plus symbolique mais également important, le Président Sisi s’est lui-même engagé à mettre un terme au problème du harcèlement. Le 10 juin 2014, à la suite de l’agression terrible d’une jeune femme sur la place Tahrir lors des célébrations de la victoire électorale du nouveau Président, Sisi a rendu visite à la victime et s’est excusé, de même qu’il s’est excusé auprès de toutes les femmes égyptiennes soumises à des abus sexuels. Il a promis de mettre en œuvre des mesures plus sévères pour régler le problème. Cette déclaration forte constitue la première reconnaissance officielle du problème comme un problème public, impliquant les autorités du pays et l’action publique pour y remédier.

Un peu plus tard, un communiqué de la présidence a annoncé la formation d’un comité regroupant des représentants divers des autorités et de la population égyptienne afin de définir une stratégie nationale de lutte contre le harcèlement. Ce comité a été formé le 27 août par le premier ministre Mehleb et comprend des représentants des autorités religieuses, du Conseil National pour les Femmes, et différents ministres. Le comité a produit un plan de 12 mesures pour lutter contre le harcèlement, en particulier l’intensification des mesures de sécurité dans les espaces publics et la mise en place de programmes éducatifs et de campagnes de sensibilisation. Aucune des mesures prévues n’a cependant été mise en place jusqu’à aujourd’hui. La dernière mesure en date du gouvernement a été prise le 11 septembre 2014 par le Ministère de la Solidarité sociale et prévoit la modification du fonctionnement des centres d’accueil pour les femmes afin de leur permettre de fournir des aides sociales, médicales, légales et psychologiques aux victimes de harcèlement et de violence sexuelle.

Certaines initiatives officielles sur le plan local ont également commencé à être mises en oeuvre. En particulier, l’Université du Caire est devenue la première université égyptienne à se doter d’un règlement anti-harcèlement et de mesures permettant aux étudiants et aux professeurs de signaler des cas de harcèlement en toute sécurité.

Et s’ajoutent à cela toutes les initiatives émanant de la société civile mises en place par un nombre grandissant d’associations telles que Harassmap, Shoft Taharosh ou autre qui mènent de nombreuses campagnes de sensibilisation, publient des rapports régulièrement et fournissent aux victimes des soutiens légaux et psychologiques. Ces associations contribuent notamment peu à peu à briser la loi du silence et libérer la parole des victimes, et leur travail permettra peut-être de parvenir au changement radical des mentalités permettant de mettre un terme au phénomène du harcèlement.

Pour aller plus loin :

http://www.hrw.org/fr/news/2013/07/03/egypte-epidemie-de-violence-sexuelle

http://www.fidh.org/fr/maghreb-moyen-orient/egypte/15152-egypte-l-epidemie-de-violence-sexuelle-continue

http://www.lemonde.fr/societe/article/2013/04/25/harcelement-sexuel-la-onzieme-plaie-d-egypte_3166607_3224.html

http://orientxxi.info/magazine/harcelement-sexuel-une-plaie-de-l,0615

http://www.fidh.org/IMG/pdf/egypt_women_final_english.pdf